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Vigilance renforçée à l’égard des personnes âgées vulnérables

Le 8 avril 2021, l’AMF et l’ACPR ont cosigné un communiqué de presse destiné aux professionnels de l’Assurance, de la Banque et des Activités financières. Cet article fait suite à des travaux de place relatifs à la commercialisation de produits financiers auprès de clientèles âgées et/ou vulnérables.

Nous vous proposons ci-après la synthèse de ces travaux.

Le rapport présenté conjointement par les deux autorités de régulation fait la synthèse des travaux réalisés sur 5 thématiques, toutes relatives à la commercialisation de produits financiers aux personnes âgées et/ou vulnérables.

Ces thématiques sont les suivantes :

L’ensemble des restitutions présentées dans ce rapport ou résumées ici sont couvertes par le cadre juridique des établissements financiers que sont MIF2 (Directive sur les marchés financiers – Directive UE 204/65) et DDA (Directive sur la distribution d’assurance – Directive UE 2016/97).


La conception des produits

Etablissement des marchés cibles

La conception de produits financiers tels que l’assurance-vie ou des instruments financier doit respecter l’adéquation aux besoins d’un “marché cible“. Cette obligation naît des exigences réglementaires sur la protection de la clientèle. Ce “marché cible” correspond à un groupe de clients partageant des caractéristiques homogènes et communes. Ce marché cible est donc défini avec une granularité suffisamment fine pour éviter des commercialisations inadéquates, en tenant compte du profil de risque client, de la complexité et de la nature du produit. Il est défini par le concepteur de l’instrument financier, c’est à dire le producteur.

Les distributeurs de ces produits doivent également déterminer un marché cible, fondé cette fois sur la connaissance de leurs clients. Ce marché cible distributeur doit être cohérent avec le marché cible du producteur.

Cinq critères cumulatifs permettent de définir ce marché cible. Ces critères sont issus des orientations de l’ESMA en date du 5 février 2018.

  • La catégorie du client au sens de son marché de référence (Retail, Corporate, Professionnels, …)
  • Le profil de risque client (ie sa connaissance et son expérience financière)
  • La situation financière du client (avec un point d’orgue sur sa capacité à subir des pertes)
  • La tolérance au risque du client
  • Les objectifs et besoins du client.

En parallèle de ce marché cible, un autre marché dit “négatif” doit être obligatoirement défini avec les mêmes 5 critères. Ce marché tend à caractériser les incompatibilités avec le produit financier.

Limites de commercialisations selon l’âge : méfiance sur les pratiques discriminatoires

Il ressort du groupe de travail que l’âge ne saurait, pour des raisons de discriminations, être un critère seul permettant de construire le marché négatif d’un produit.

Dans la même idée, l’âge ne saurait être un critère unique pour construire un marché cible, tant les autres critères d’appréciation sont variables selon les clients.

En effet, l’idée d’introduire un critère d’âge est associable à dire que tous les séniors de plus d’un certain âge présentent des caractéristiques similaires relatives à un marché cible ou négatif. Ce qui n’est pas applicable.

Produits spécifiques destinés aux séniors

Quand bien même certaines démarches commerciales et publicitaires ciblant spécifiquement les populations “séniors” ont été relevées, il est un constat partagé de l’absence globale de conception de produits spécifiquement destinés à cette population. Et les quelques produits existants sont aussi bien commercialisés aux séniors qu’aux actifs !

L’argumentation utilisée par le groupe de travail porte sur l’hétérogénité des besoins d’investissements (en lien avec les critères de définition du marché cible) de cette population et ce malgré le partage d’objectifs communs majoritairement admis en lien avec la séniorité (complément de revenus, dépenses de santé imprévues, protection des proches, transmission d’un patrimoine, préparation à la dépendance).

Conclusions

Il ressort que la mise en place de politiques internes spécifiques et relatives au critère d’âge ou de vulnérabilité semble une piste adéquate pour prévenir ou mieux accompagner la commercialisation de produits potentiellement inadaptés. La vigilance renforcée du distributeur d’une part, la personalisation du conseil d’autre part semblent être une solution bien plus adaptée que le cadre réglementaire.

Sommaire


Les stratégies de distribution

Contextes réglementaires

La gouvernance des produits est couverte par des obligations réglementaires décrites autant dans la directive DDA que dans la directive MIF2 : la mise en œuvre de la stratégie de distribution doit être compatible avec le marché cible défini par le producteur.

Charge est donnée au distributeur de vérifier l’adéquation systématique et continue entre les objectifs et besoins de leur(s) marché(s) réel(s) d’une part et le marché cible défini par le producteur d’autre part, incluant des remontées d’inadéquations éventuelles vers le producteur en cas d’écarts.

S’agissant des conditions d’accès à la clientèle et aux prospects, il est rappelé dans cette synthèse que la vente à distance de services financiers est encadrée par les règles de démarchage nationales (CMF L341 à L343) et par une directive européenne (2002/65/CE). Ce corpus législatif a pour objet de définir le cadre légal et les règles relatives aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur sur un service financier. Ces règles sont orientées autour de la protection du consommateur tant en amont (informations pré- et contractuelles, diligences autour de la KYC, des besoins clients, etc.) qu’en aval (rétractation, etc.) d’une signature.

Analyse des canaux de distribution

Les trois principaux canaux de distribution sont analysés (présentiel ou face à face en agence, contact téléphonique, Internet).

Il ressort de ces travaux, en lien avec la vulnérabilité, que

  • Chaque canal présente autant d’avantages que d’inconvénients face à la distribution des instruments financiers aux populations séniors ou vulnérables (cf. tableau ci-aprés)
  • Les canaux digitaux ou téléphoniques soulèvent la problématique du recueil du consentement de l’investisseur ou du souscripteur (sans limitation aux seules personnes âgées ou vulnérables)
  • Face à ces enjeux, le groupe de travail soulève l’intérêt de certains dispositifs tels que l’instauration d’un délai bloquant entre la fourniture des documents pré-contractuels et le consentement, des identifiants séparés pour le mandant et le mandataire, …
  • L’approche multicanale semble fédérer les acteurs du groupe de travail, avec par exemple, la mise en place d’un contre-appel téléphonique pour corroborer le consentement ou lever les incohérences déclaratives.
  • Enfin, le groupe conclut sur le choix “in fine” du canal par le client, selon sa situation et ses besoins, tout en conservant un canal complémentaire pour sécuriser le consentement (au delà de l’enregistrement systématique des conversations téléphoniques).

Canal de distribution

Avantages

Inconvénients

RDV en agence

  • KYC client
  • Approche personnalisée du Conseiller
  • Documents précontractuels présentés sur papier et expliqués
  • Contrôle du consentement plus efficace
  • Déplacement en agence parfois compliqué
  • Absence de sensibilisation des CC aux clientèles âgées
  • Flexibilité importante dans la gestion du RDV
  • Non adapté aux établissements en ligne

Téléphone

  • Limitation des déplacements du client
  • Contact rapide et temps de réponse raccourcis
  • Utile dans le complément de l’utilisation d’internet
  • Problématiques d’audition et de communication, sources d’incompréhension.
  • Pas d’interaction client / Chargé
  • Enregistrement obligatoire des conversations
  • Pas d’identification des besoins complémentaires d’explications (échanges plus superficiels)

Internet

  • Accessibilité de l’ensemble des données pour des personnes à l’aise avec les outils numériques
  • Temps de réflexion important
  • Pas de déplacement
  • Flexibilité client sur les supports utilisés
  • Equipement et connexion requis
  • Aisance aux outils numériques requise
  • Gestion des accès et des éléments de sécurités
  • Ergonomie des plateformes pas toujours adaptées eu besoin de lisibilité des personnes âgées
  • Gestion du consentement

Focus sur les déplacements à domicile

Dans le contexte très réglementaire lié au démarchage bancaire et financier, le groupe de travail recommande fortement de ne pas systématiser ce canal et de le limiter

  • Aux personnes déjà clientes de l’établissements, à l’exclusion de toute prospection
  • A la demande expresse des clients
  • Pour la réalisation d’arbitrages usuels portant sur des produits déjà détenus ou des opérations ayant déjà fait l’objet d’un RDV préalable.

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L’information et le conseil délivré au client

Les obligations précontractuelles

Ces obligations d’informations précontractuelles portent sur les caractéristiques des produits, des services; les coûts et frais liés. Dans le cadre des réglementations PRIIPS, DDA et MIF2, ces obligations sont manifestées par la transmission d’un document d’information clé : le DIC.

Le devoir de conseil

En outre, dans le cadre de la commercialisation de produits d’assurance-vie, les distributeurs doivent exercer un devoir de conseil obligatoire. Devoir de conseil qui revient à rapprocher un ou plusieurs contrats appropriés et en adéquation avec les exigences et les besoins du client, sa situation financière, ses objectifs de souscription, sa connaissance et son expérience en matière financière, sa tolérance au risque.

En outre, les distributeurs peuvent fournir, dans le prolongement du devoir de conseil, un service de recommandation personnalisée. Ce dernier repose sur une comparaison analytique de différents véhicules d’assurance en vue de recommander au client celle(s) qui répond(ent) le mieux aux exigences et besoins du client.

Dans le cadre de ces actions de conseil, le distributeur devrait tout mettre en oeuvre pour identifier et gérer les risques de réponses manifestement incohérentes apportées par le client.

Vulnérabilité et information réglementaire

L’AMF matérialise que les objectifs de lisibilité des documents précontractuels ne sont pas atteint à ce jour. Les documents présentés ne sont pas assez lisibles, informatifs et attractifs. Les actions de remédiation incombent aux producteurs.

Conséquence : il ressort que la compréhension des DIC (par exemple) nécessite un accompagnement plus important avec par exemple

  • la gestion d’un temps minimum permettant au client de parcourir les documents (et donc un verrou chronologique empêchant toute contractualisation avant la levée de ce verrou) et ce en particulier dans le cadre de la vente à distance.
  • la mise en place d’adaptation de tailles de police, d’illustrations, de tutoriels, d’aération des textes.
  • l’écoute active pratiquée par les chargés de clientèles pour faciliter la compréhension des clients et ne pas manquer un éventuel appel à l’information.

Vulnérabilité et “décumulation”

Le groupe de travail a également ouvert la porte aux échanges sur la “dé-cumulation”, cette phase qui revient à consommer progressivement son épargne à partir de la retraite. Dans le cas des personnes agées et leurs besoins communs (cf supra), la dé-cumulation va les amener à libérer progressivement tout ou partie de leur épargne.

Durant cette phase, les décisions de rachat, vente, retrait ont un impact significatif sur le patrimoine et la situation financière du client. Le conseil doit alors être particulièrement méticuleux selon le groupe de travail.

En effet, le conseiller est alors confronté à plusieurs impératifs

  • Le respect de l’autonomie décisionnelle du client.
  • Le devoir de conseil et donc l’évaluation du caractère approprié et de l’adéquation pour procéder à cette sortie d’épargne dans des conditions optimales
  • La vigilance dans le cas d’un entourage trop présent (abus de faiblesse)

Le conseiller est donc confronté à plusieurs risques

  • Atteindre à la liberté d’utilisation de son patrimoine par le client
  • Manquer au devoir de non immixtion du conseiller
  • Refuser la vente

L’AMF recommande ainsi aux établissements assujettis de veiller systématiquement à conserver une épargne de précaution suffisante pour faire face aux dépenses liées à l’âge. La vigilance du conseiller vis à vis de ce dimensionnement de l’épargne de précaution s’inscrit à plein dans le devoir de conseil.

Vulnérabilité et consentement

Il est rappelé qu’il n’appartient pas au conseiller de rechercher ou diagnostiquer une vulnérabilité. Son devoir de conseil, en revanche, évaluer les changements d’habitudes du client, du fonctionnement du ou des comptes et à travers cette évaluation former un doute raisonnable sur l’existence d’une vulnérabilité chez son client, susceptible de l’empecher de prendre une décision financière éclairée.

Dans ce cas, il convient de veiller, plus particulièrement qu’avec d’autres clients, à l’expression, au recueil et au respect du consentement de ce client, et de s’assurer de son actualisation régulière.

Certaines pratiques émergent du groupe du travail comme un second rendez-vous en cas de doute de la part du conseiller. Ce second RDV ayant pour objectifs

  • Clients
    • de laisser du temps au temps pour parcourir la documentation,
    • d’éviter un RDV unique trop long et source de fatigue,
    • d’installer un climat de confiance.
  • Pour l’établissement
    • D’obtenir un second regard sur la perception client
    • d’analyser le risque de commercialisation
    • Documenter la situation au regard du droit
    • Statuer sur une commercialisation ou non

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L’ accompagnement du réseau de vente

Des obligations de formations continues

Que ce soit à travers la directive MIF2 ou la directive DDA (et leurs transpositions dans le droit), les personnels commerciaux doivent posséder les connaissances et aptitudes appropriées leur permettant de réaliser leur mission et satisfaire à leurs obligations.

Au titre de l’intermédiation en assurance, la formation annuelle continue est fixée à 15 heures par an et par collaborateur concerné.

Au titre de l’investissement financier, les PSI (prestataires de services en investissement) sont soumis à l’examen AMF d’une part et d’autre part par une revue annuelle des connaissances minimales attendues par les collaborateurs concernés.

Les objectifs restent identiques, à savoir détenir le niveau de connaissance et d’expérience pour leur permettre de délivrer un conseil ou un service de qualité.

Vulnérabilité et réseau de vente

Les constats partagés par le groupe de travail portent sur

  • Une sensibilité importante des conseillers sur les préoccupations de fond en lien avec la population âgée.
  • Une sensibilité faible sur la manière d’aborder ces sujets avec ces clients
  • Des préoccupations importantes en lien avec les actualisation des clauses bénéficiaires, la sécurisation des procurations, ou des décisions clients assez inhabituelles et pouvant révéler des abus.

De manière assez évidente, il ressort également que des conseillers familiers avec ces différents enjeux et problématiques sont susceptibles de mieux comprendre les besoins et mieux orienter les clients dans leurs démarches financières.

Un programme de sensibilisation des réseaux se dégage des travaux réalisés en tant que piste de travail. Cette sensibilisation devrait être réalisée en présentiel afin de travailler sur des situations pratiques et des retours d’expériences.

Vulnérabilité et moments clés

Les constats partagés par le groupe de travail portent sur


Les politiques de conformité

Enjeux

L’action des conformités est envisagée autour de l’instauration de procédures dédiées à la gestion de cette population de clientèle spécifique . Rapidement les contraintes suivantes émergent

  • les conformités sont souvent organisés pour traiter les opérations inhabituelles ou atypiques indépendantes de l’âge du client. Elles ne sont pas organisées par segments ou catégories de clientèles.
  • En imaginant une telle gestion, les aléas suivants seraient rencontrés
    • Une nécessité d’accompagmenent des forces de vente sur des caractéristiques en lien avec le segment. Or au sein même de ce segment ces caractéristiques évoluent avec l’âge et à des vitesses trés différentes d’un client à l’autre.
    • Un établissement serait rapidement confronté à la contrainte RGPD dans le stockage d’une données personnelles sensibles relative à la vulnérabilité.
    • Le respect du secret bancaire et professionnel et de la confidentialité, à travers la volonté mais l’impossiblité d’informer un proche sur une situation problématique.

Vulnérabilité et conformité

Les travaux montrent la pertinence de nommer un référent “clients vulnérables”, expert dans la connaissance réglementaire et son expérience passée. Cet expert interviendrait en accompagnement auprès de son réseau d’une part mais également dans la mise en place des procédures adaptées. Il serait rattaché à la fonction conformité.

Des pistes de réflexion émergent sur la possibilité de renforcer la vigilance sur ce critère d’âge et en particulier autour

  • Des souscriptions, des arbitrages et les désinvestissements de manière systématique
  • d’entretiens de suivi avec les clients à certaines échéances clés (entrée dans le 4ième âge) afin de faire le point sur l’adéquation entre les produits détenus et les besoins et exigences à date.
  • du renforcement du contrôle des opérations réalisées dans le cadre des procurations.

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Sources

  • Communiqué de presse AMF/ACPR et synthèse des ateliers du groupe de travail de place. A lire ici.

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